En ce mercredi 19 juillet, la Maison Bleue se déplace au Musée Hyacinthe Rigaud, afin de nous plonger dans « la couleur de la sculpture ».Cette exposition éphémère retrace le monde totalement méconnu du sculpteur franco-espagnol Richard Guino, et de sa « collaboration » avec Auguste Renoir, de plus de cinquante ans son aîné.
Pour les néophytes de Richard Guino que nous étions tous, je vais tenter de résumer ce que nous avons retenus collégialement de cette plus que recommandable exposition.
Richard Guino, né à Gérone en 1890, se fait remarquer très tôt sur ses terres catalanes, avant de rejoindre une école d'art à Barcelone à l'âge de seize ans. Pour le moins précoce, son travail du dessin et de la sculpture est si stupéfiant en dépit de sa jeunesse, qu'il part s'installer sur Paris courant 1910, à la faveur de la découverte de son talent par l'artiste banyulenc, Aristide Maillol, jouissant déjà en ce temps-là d'une célébrité internationale.
Guino assiste Maillol trois années durant, révélant sa maîtrise incroyable des matières autant que des formes. Ainsi, son exigence sur les détails du corps féminin, sur la plasticité des mouvements ainsi que sa virtuosité dans le façonnage des émaux colorés, livrent des œuvres silencieuses d'une légèreté déroutante. D'une délicatesse puissante. D'un relief étourdissant.
En 1913, le très influent marchand d'art Ambroise Vollard se rapproche d'Aristide Maillol. Il lui propose d'assister le grand Auguste Renoir, infirme des mains et incapable de persévérer dans la peinture. Si Maillol refuse, Guino, quant à lui, accepte cette initiative.
De 1913 à 1918 il va déployer tout son art du modelage, de l'ornement et du métissage entre peinture et sculpture pour enrichir, en toute discrétion, l'œuvre et la reconnaissance d'Auguste Renoir. Nous épatant, d'une pierre deux coups, autant pour la qualité de ses productions que pour sa capacité à s'effacer sous le tampon beaucoup plus vendeur que le sien, à savoir celui de son « Maître » Auguste Renoir.
Car, fâcheusement, Vollard imposera la paternité de chaque travail fourni par Guino à la seule personne de Renoir. Raison principale pour laquelle Guino restera, injustement, dans l'ombre de l'histoire de l'art bien trop longtemps. Il faudra attendre que le fils de Richard Guino, Michel, intente un procès dans les années d'après-guerre contre les ayant-droits d'Auguste Renoir pour que la porte d'une plus que justifiée notoriété lui soit rendue.
C'est peu de dire que tous les participants de La Maison Bleue sont tombés sous le charme ensorcelant de Richard Guino. De ses croquis préparatoires. De cette main de bébé presque vivante posée sur la joue de sa mère toutes de bronze façonnées. De ce centaure séquestrant une femme assommant de détails. De s'imposer la contrainte du cadre plutôt que de l’œuvre, un peu comme s'imposer la forme plutôt que le fond, à contre-sens de bien des artistes.
Au travers de ce sculpteur aussi méconnu que talentueux, chacun d'entre nous a emporté un océan d'étoiles dans les yeux quand le rideau de la visite est tombé. Dans la même veine, chacun d'entre nous a trouvé du mal à choisir une œuvre plutôt qu'une autre. Pour autant, nous avons essayé de désigner l’œuvre qui nous avait le plus ému - bon, okay, c'est aussi un peu Estelle et ses devoirs qui nous ont un tantinet poussé à accomplir ce tri sélectif - et ce ne fut pas une tâche facile !
Au final, Véro pencha pour la seule œuvre disparue nommée La Vendangeuse dont une photo murale grandeur nature trônait devant nous. Isa, elle, opta pour les portraits en décalé du profil de Paul Renoir, tout d'émaux et de grès patinés. Joël, pour sa part, désigna les nombreuses œuvres inspirées de la muse de Richard Guino, Eulalie Verdier. Précillia, au même titre qu'Estelle, s'inclinèrent toutes deux devant la douceur et la tendresse de L'Enfant au Sein en terre cuite, d'une intensité et une puissance, il est juste de le souligner, absolument déconcertantes. Farid, après avoir reconnu avoir du mal à choisir une œuvre plutôt qu'une autre, a difficilement tranché devant la finesse du travail produit autour de Marie-Thérèse, la fille de Richard Guino.
Quant à moi, j'avoue sans rougir être ressorti de cette exposition envoûté par la profondeur des émotions présentes dans chaque inhalation d'humanité insufflée qui, sur du bois, qui sur du bronze, qui sur du verre, qui sur de l'ébène, et j'en passe. Mais puisqu'il me faut retenir une réalisation parmi toutes, mon cœur balance pour La Grande Baigneuse, que je n'avais nul mal à imaginer, essorant et tressant ses cheveux longs avec une telle dose de sensualité que c'en était troublant.
Encore confus par la digestion de toutes ces images, j'arrive au bout de cet article. Raison pour laquelle je ne peux conclure sans remercier La Maison Bleue pour ce sublime voyage des plus inattendus. Sans oublier de dire un grand bravo à notre guide qui a su faire vivre de manière très interactive et abordable pour tous cette exposition. Sans omettre, par ailleurs, l'immense gentillesse et prévenance du Musée Hyacinthe Rigaud à notre égard, nous offrant l'opportunité, une fois n'est pas coutume, de nous sentir importants et pleins de vie.
En guise de conclusion, je crois que c'est Montaigne qui a dit que « Éduquer, ce n'est pas remplir un vase, mais allumer un feu ». Je rajouterai, humblement, que c'est le seul feu qui mérite qu'on l'alimente sans discontinuer. Et aujourd'hui, cette journée y a largement contribué.
P.S : Richard Guino, si tu m'entends, où que tu te trouves, et surtout quoi qu'en dise l'opportuniste Ambroise Vollard, tu as dignement gagné ton immortalité.
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